L'Astrada de Marciac, samedi 22 Juillet 2023
Texte : Annie Robert / Photographies : Laurent Sabathé
Mortelle Randonnée, drôle de titre pour un groupe... ou pour un album...ou pour les deux.
Mortelle ? Mais non, mais pas du tout... Randonnée ? Mais oui, mais oui absolument, un parcours, une invitation, un cheminement, des bosses, des creux, du souffle, un délice chaotique, une folle équipée avec au détour du sentier un panorama d'enfer... !
Mortelle Randonnée réunit quatre musiciens toulousains autour de l'œuvre de Carla Bley. S'y rajoutent quelques morceaux de sa fille Karen Mantler avec laquelle ils ont travaillé lors d'une résidence à l'Astrada. Et avec eux, l'univers unique, facétieux, savant par instant de cette compositrice majeure des années 70 / 80, éclectique et pleine de ressources qu'est Carla Bley.
Le groupe se livre à l'exercice un peu glissant de la revisite et de l'hommage mais il ne s'y perd pas. Avec une approche pop et un son puissant, une belle capacité évocatrice, ces quatre multi-instrumentistes à l'aise partout viennent embellir la déjà très riche palette de timbres des compositions originales.
Ce n'est pas mieux, c'est autrement… et c'est diablement bien.
Dès le premier morceau, le travail basé sur un thème est repris, développé, trituré vers le haut, vers le bas porté par la guitare rock et vachement roll de Benjamin Gilbert ou le tuba délié de Sébastien Cirotteau (qui ne l'est pas moins aux claviers ou à la trompette). Avec des ruptures étonnantes et languides sur un petit air de xylophone comme un manège virevoltant, des dérapages dramatiques et sauvages, l'univers de Carla Bley est ouvert, la boîte de Pandore se déverse, écrite comme une symphonie.
Mais ces quatre-là savent y mettre leur pâte (ou leurs pattes, il est souvent question d'oiseaux...) leur propre folie, leur propre couleur. Ils savent tirer à fond sur les crêtes et les adhérences et font ressortir à l'air libre le dessous des notes qui semblaient nous échapper. Comment aller chercher dans ce qu'on peut prendre pour des imperfections, des scories qui font sens, qui dérangent, qui interpellent (par exemple la répétition à outrance dans l'avant dernier morceau qui finit par devenir hypnotique).
Ils adaptent, remanient, ré-arrangent, les mots deviennent français alors sans problèmes. Ainsi, « Funnybird Song » devient « La Chanson de l’oiseau drôle » ; « I hate to Sing » devient « J'aime pas chanter » porté par le batteur Clem Thomas dans une ambiance de surf-music et de ukulélé qui en fait une potacherie bien tournée, humoristique et foutraque. (Au passage je vais dire toute mon admiration pour ce batteur, sans esbroufe, vrai de vrai musicien au service du « texte »).
Andy Lévèque au saxophone et à la basse énonce avec délicatesse et force les espèces ornithologiques diverses sur « Ondulations de l’oiseau du Caucase » appuyé par des appeaux charmeurs, déroutants qui se terminent en nous secouant les plumes en rock déchainé et trash.
Les deux chansons de Karen Mantler choisies par le quartet ne sont pas en reste, que ce soit «Tortue» ou les voix parlées et scattées, répondent aux baguettes du xylophone qui se déroutent sur la batterie. La sage tortue se mue alors en monstre écailleux et remuant. Ou bien « Ce maudit volcan » avec une intro très expressivement organique et tellurique.
Mortelle Randonnée souligne aussi le talent de Carla Bley pour la chanson et les ritournelles qui s’entonnent à la première écoute et les facéties diverses comme cet exercice réjouissant autour du « La » qui accorde l'orchestre ou cette moquerie divine de « Wrong Key Donkey », embrouillée comme un écheveau de laine multicolore.
Quelle fibre, quelle matière aux détours d'une boucle de la pelote ?
Des nappes de sons soufflés, une solide écriture de la basse et juste des petits frappés sur le bois comme un métronome minimaliste avant que l'écheveau ne se ré-emmêle... une merveille de maitrise et d'émotion.
Car voilà la prouesse de ce quatuor de musiciens frénétiques où chacun jouera plus de trois instruments : réussir une réinterprétation magistrale et émouvante d'une œuvre si singulière, en sortir la moelle et la joie. Ils ont choisi de rockifier, popifier le jazz de Carla Bley et c'est bluffant de créativité.
Leur façon de sortir des sentiers battus non pas pour faire original et singulier à tout prix mais bien pour travailler le fond du son est réjouissante et libre.
Quand on sait que Mortelle Randonnée est un film français de Claude Miller, avec une bande son de Carla Bley, on se dit que la boucle est bouclée.
Un «spectacle» à voir les oreilles ouvertes et à écouter les yeux fermés !
Sébastien Cirotteau, trompette, saxhorn alto, orgue, synthétiseur, voix, appeau
Andy Lévêque, saxophone alto, basse, clavier, flûte à bec, voix, appeau
Benjamin Gilbert, guitare électrique, basse, clavier, percussion, voix, appeau
Clem Thomas, batterie, glockenspiel, ukulele, voix, appeau
Source : l'Astrada de Marciac
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