Le Chapiteau de Jazz In Marciac, samedi 27 juillet 2024
Chronique d'Annie Robert / Photographies : Laurent Sabathé
En cette année 2024, les hommages à Claude Nougaro se multiplient et c'est bien naturel. Voici 20 ans déjà qu'il a quitté ce monde et laissé un peu orphelin les amateurs de mots, des rimeurs de poésie, les cinématophiles de la chanson.
Sa voix reste fortement imprimée dans les mémoires, ses chansons jalonnent notre vie et son style puissant se devine encore chez bien des artistes qui l'aient connu ou pas.
Le maestro, il faut dire, a trempé sa plume et sa langue imagée dans la richesse de toute la musique du monde : ouvert à tout, il est un alchimiste groupant dans son chaudron bouillonnant l’opéra italien de son baryton de père, le jazz des standards, la java de Paris, le swing de la radio, les rythmes latins ou brésiliens d’un Gilberto Gil ou d’un Chico Buarque.
Il n'est pas pour autant un concentré opportuniste de styles pluriels. Toutes ces influences, il les a faites siennes, les a malaxées, détournées et surtout habitées par une langue poétique unique, précise, sauvage, amoureuse, battante et délicate. Il a su également s'entourer d'arrangeurs de génies donnant à chaque album sa couleur particulière.
Il y a sept ans déjà André Minvielle, Thomas de Pourquery et Babx avait créé un spectacle délicieux, un hommage hors anniversaire, sans célébrations, sans pathos, un hommage au plaisir mais aussi au manque, au talent et à la lingua si singulière, si ciselée de Claude Nougaro. Dans une recherche de l’essence de chaque chanson, de sa dramaturgie ou de sa dérision, cela sonnait juste à chaque choix. C’était à la fois simple, profond, intime et fantasque, respectueux de la beauté poétique des paroles, vibrant et soyeux.
Le parti pris de ce soir est tout le contraire. Du monde, beaucoup de monde sur scène, du brillant, du son fort et du show. Une célébration à l'américaine de laquelle on peut attendre le meilleur avec des moments habités et le pire avec des affèteries boursoufflées ou des faiseurs de job appliqués.
Fred Pallem a réorchestré, réarrangé la vingtaine de chansons choisies. Avec son big band puissant (onze cordes, six soufflants, une batterie, une percussionniste, une guitare, une basse et un piano), il occupe tout l'espace scènique. Se relayeront sur scène ensuite un all-star vocal, Souad Massi, Marion Rampal, Gabi Hartmann, Sanseverino, Jowee Omicil, André Minvielle, Ray Lema, Jacques Gamblin, ou Siân Pottock pour des duo, trio ou solo selon les chansons.
Le début du spectacle laissait augurer le meilleur. Sur le côté de la scène, plusieurs traducteurs en langue des signes ponctuent chaque chanson d'une gestuelle dansée et poétique, extrêmement belle, dévoilant la substantifique moelle de l'œuvre de l'amotsicien Nougaro : sa poésie. C'est une initiative cohérente et chorégraphiée, une belle et bonne idée.
Jacques Gamblin aussi, disant avec bonheur le texte de « La danse » nous amènera dans ce chemin de mots. Mais déjà l'orchestration derrière, la puissance excessive du son nous fait perdre une partie des paroles. Et cela va être un problème récurrent.
Tout le set par la suite sera parasité par ce niveau sonore excessif, par cette orchestration à la fois peu inspirée, rabotée et clinquante.
Des moments forts, comme « le Toulouse » de Minvielle, ou « Garonne » de Ray Lema (qui en a composé la musique) se retrouveront amputés de leur âme, malgré la qualité de leurs interprètes.
Dès que l'accompagnement musical perd en intensité, les chansons nougaresques reprennent leur beauté : l'interprétation magnifique de Marion Rampal sur « Dansez sur moi », le duo sautillant jazzy en diable entre Sanseverino et Minvielle sur « Kyou, k ywas », la délicatesse de Gabi Hartmann sur « Tu verras ».
Des moments précieux également comme « l'Ile Hélène » avec l'introduction au saxophone de l'immense Stéphane Guillaume, « La pluie fait des claquettes » avec juste Minvielle, ses sacs plastiques, un piano et un sax.
Mais aussi des moments d'une faiblesse étonnante, quand on connait les qualités habituelles des musicien.e.s impliqué.e.s : Souad Massi transparente, Siân Pottock trop lisse, Jowee Omicil trop égocentré malgré son énergie; des trios sans imagination (et peut-être pas trop de travail... ?) des duos submergés par un excès de fioriture sonores.
Adieu les accords jazz qui frottent, adieux les orchestrations africaines percutantes.
Ne parlons pas d'une présentation sans intérêt (qui est ce monsieur, que fait-il là, pour dire quoi, il se trompera sur certains titres...) et d'une mise en lumière d'une incroyable banalité...
On a à faire à des professionnels mais tout cela sent les chansons montées à la hâte (des quartets où l'on ne peut même pas chanter à la tierce !) et le spectacle de circonstance.
Bref à boire et à manger comme on dit, du très bien (il faut le souligner!) du moyen, du passable. Autant dire que la déception est à la hauteur de l'espoir suscité et du plaisir espéré.
On ressort de ce concert partagé. Certes, le plaisir de retrouver les chansons de Claude Nougaro est là, on les connait presque par cœur, on les aime, mais les textes ont été tellement noyées par le Big Band... Il aurait fallu faire parfait sans se prendre au sérieux, faire subtil sans dénaturer. Plus simple peut être, plus authentique.
Heureusement qu'on avait André Minvielle.
Des cailloux roulaient dans la voix de Nougaro, on a en ramassé de jolis, de subtils pour mettre précieusement dans sa musette, dans ses écrins à souvenirs mais on a eu quelques-uns qui se sont glissés dans les chaussures...
Dommage.